Jack Kerouac, le roi de la « beat generation » jouait running back – Épisode 3/4 (Vanité de Duluoz) son dernier roman

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(Vanité) de Duluoz

Il s’agit du dernier roman de Kerouac (1922-1969) : un autre « Portrait de l’Artiste en Jeune Homme » ; peint à travers du prisme du football américain, des voyages en mer, de l’adolescence, des petits boulots, du temps de guerre, de l’asile et de la prison. Avec au centre, une pratique continue de l’écriture adolescente et l’amertume de l’écrivain enfin célèbre (en 1968), mais dont le succès, loin d’être l’heureuse réussite de jadis, fut le signe du Destin lui-même. Le tout écrit en brèves notations-esquisses, prose spontanée, irrécusable, digressions-associations tissant la trame de l’esprit de celui qui allait devenir le « Roi de la Beat Generation ».

Dans ce roman, Jack Kerouac décrit les aventures de son alter ego, Jack Duluoz, de 1935 à 1946. Le livre évoque notamment la vie lycéenne de l’auteur, à Lowell (Massachusetts) et son passage à l’Université Columbia, c’est là que nous retrouverons l’essentiel des passages qu’il consacre au football.

(Extraits)

Par un mois de novembre venteux de 1935, dans la ville de Lowell (Massachusetts), un groupe de gamins âgés de treize à quinze ans préparent un terrain pour jouer au football : ils s’organisent, tracent les lignes, fabriquent une chaîne de fortune. L’initiative attire une foule de spectateurs, de papas, de mamans, de garçons et de filles, loin du centre-ville, sur un terrain vague dont les brins d’herbe épars sont paralysés par le gel, loin du cinéma, du magasin de bonbons et de la salle de billard.

Le jeune Jack, tout juste treize ans, possède le physique idéal pour ce jeu. Il est l’un des talents des « Dracut Tigers », l’équipe qui a défié les autres formations de la petite ville. Le journal sportif rédigé par Duluoz-Kerouac titre sur son unique page : « Jack marque 9 touchdowns les Dracut Tigers écrasent l’équipe de Rosemont 60 à 0 ! ». C’est aussi l’époque du match qui va changer sa vie, l’un des premiers matchs importants contre les jeunes de seize ou dix-huit ans qui fréquentent la salle de jeux.

« Au coup d’envoi, j’attrapai le ballon, courus, et fus enterré sous les malabars. Dans la mêlée, avec moi en dessous accroché au ballon, Halmalo, dix-sept ans, un de ceux qui s’étaient fait virer de la salle de billard, me frappa soudain au visage à l’abri des corps, en disant à ses copains : « R’gardez ce petit Christ de Duluoz ! ». Remise en jeu suivante, Halamalo reçoit le ballon au centre, et commence à valser à l’aile gauche, mince avec de longues jambes, bien protégé, pensant qu’il va aller jusqu’à l’en-but. Je me dirige vers lui en courant au ras du sol, si bas que dans le feu de l’action ses coéquipiers pensent que je suis tombé sur les genoux, et quand ils se séparent un peu pour frapper leurs adversaires et ouvrir la voie à Halmalo, je plonge dans le trou, arrive sur lui tête baissée, droit sur ses genoux, et l’envoie bouler sur son cul dix yards en arrière ; le ballon part en touche et lui-même voit trente-six chandelles. On l’emmène hors du terrain, inconscient. »

C’est lors des batailles sportives du samedi après-midi qui ont lieu ici, dans les années 30, dans l’une des nombreuses banlieues du monde, entre les fils de Franco-Canadiens, Grecs et Polonais, que verra le jour, pendant ses années de lycée, une équipe talentueuse, si talentueuse qu’elle finira par s’imposer aux quatre coins de l’État.

« Ce match demeure pour moi le plus beau que j’ai jamais joué, celui qui eut le plus de sens car j’avais le rôle épuisant et ingrat d’un cheval de trait et je le jouais comme seul un professionnel pouvait l’apprécier, une tâche secrète et solitaire mais essentielle, donnant des coups de collier dans l’obscurité, les lèvres couvertes de sang et de boue. »

Jack « Duluoz » Kerouac est avant tout un bon joueur qui intéresse des universités prestigieuses comme le Boston College et la Columbia University. C’est l’occasion pour lui de tenter sa chance au niveau national. Le football universitaire jouit déjà d’une résonnance importante grâce à la radio et aux journaux. Il est l’antichambre du professionnalisme. Afin de profiter du jeune espoir de Lowell, les employeurs de son père n’hésiteront pas à exercer des pressions de toutes sortes, en jouant notamment sur les souhaits divergents de ses parents : l’occasion supposée unique d’aller vivre dans la grande ville de New York pour sa mère, les promesses d’avancement pour son père. Les dirigeants d’une célèbre université (Boston College) iront jusqu’à promettre au propriétaire de l’imprimerie où travaille son père des commissions substantielles en échange du recrutement du jeune Running Back.

Le choix se portera finalement sur New York et Columbia. Une décision qui changera profondément la vie de Jack puisque c’est là qu’il connaîtra les personnes et les expériences qui feront de lui le chantre de la Beat Generation. Il laissera au monde du football ses jeunes années et quelques bons articles dans les pages sportives des journaux.

« À l’étape suivante, il fallait choisir une université. Ma mère tenait à Columbia car elle désirait s’installer à New York pour voir la grande ville. Mon père voulait que j’aille au Boston College car ses employeurs, les imprimeurs Callahan de Lowell lui promettaient de l’avancement s’il parvenait à me persuader de choisir le Boston College et de jouer pour Francis Fahey. »

On l’envoie à la Horace Mann School, un bâtiment imposant situé dans un quartier chic de la ville, entouré d’une piste d’athlétisme, de terrains de football, baseball et tennis, et doté d’un gymnase parfaitement équipé. Deux heures et demie de métro pour aller et venir. Un verre de lait, des gâteaux et de la glace pour le dîner, un sandwich au beurre de cacahuètes et confiture pour le petit-déjeuner, des livres poussiéreux, réveil à 6 heures, métro – cours – entrainement – métro.

« Le visage tourné vers la cloison du wagon cahotant. Quelle puanteur, des centaines de bouches respirant un air fétide ; la célèbre haleine aillée du vieux New York. Qui a surmonté ces épreuves ? Tout le monde. Je suis maintenant entouré de tous les autres gamins, ahanant, exhalant une vapeur matinale ; et ainsi, depuis mon réveil à Brooklyn à 6 heures du matin jusqu’à maintenant 8h30. »

 (Épilogue)

Vanité de Duluoz est donc le dernier roman de Kerouac, celui dans lequel il reviendra le plus précisément sur les épisodes de sa jeunesse, et ainsi celui dans lequel nous trouverons le plus de références faites au football. La semaine prochaine, nous reprendrons pour vous ce récit émaillé d’extraits du roman, au moment de son entrée à l’université Columbia. Nous évoquerons le début de sa carrière universitaire ainsi que sa fin prématurée pour clôturer cette mini-série. D’ici là, nous espérons vous avoir donné envie de lire Vanité de Duluoz, le dernier roman de Kerouac qui, s’il n’avait pas été le « King of Beats » aurait certainement fait une belle carrière de Running Back.

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