L’Opinion : Le traitement du basketball universitaire féminin est-il indigne de la NCAA ?

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L’équipe de The Free Agent vous propose sa nouvelle rubrique : L’Opinion. Cette tribune a pour but d’offrir aux différents rédacteurs un espace personnel d’expression où ils peuvent intervenir sur divers sujets en fonction de leurs convictions profondes.

Aujourd’hui, Damien et Jordan reviennent sur l’évènement du weekend à savoir : l’inégalité de traitement entre athlètes masculins et féminins pendant la « March Madness ».

Un bref rappel des faits

Le 19 mars 2021, la plupart des médias américains relayés le post Instagram d’Ali Kershner, l’une des coachs de Stanford. La photo montrait alors les différences de moyens matériels mis en œuvre pour le tournoi de basketball masculin et celui du basketball féminin de la NCAA, la fameuse “March Madness”. La salle d’entrainement des filles y faisait pale figure avec ses quelques poids (dont aucun au dessus de 30 livres) et tapis de yoga face à celle toute équipée des garçons. Ce post a eu un fort écho à travers les réseaux sociaux et bien plus de portée que les quelques milliers d’abonnés au compte Instagram de Kershner.

La photo était accompagnée d’un petit texte, demandant les mêmes opportunités et une égalité de traitement entre athlètes masculins et féminins. Si l’intention est louable, la forme reste vraiment discutable pour plusieurs raisons.

L’Opinion de Jordan

La demande est légitime mais polariser les athlètes semble inutile

Tout d’abord, et il semble important de le rappeler pour certains, la demande de Kershner reste légitime. Ces athlètes sont amenées à devenir des références dans leur discipline et à partir du moment où la NCAA décide d’organiser ce tournoi, alors elle doit mettre les moyens nécessaires pour que les athlètes disposent d’infrastructures décentes. Elles ne sont pas responsables de la non-popularité de leur discipline (et celle-ci tend à devenir de plus en plus populaire) ni même des raisons qui poussent les organisateurs à faire ce tournoi (la rentabilité ne semble visiblement ne pas en être une).

Pour autant, la forme reste discutable. Si les athlètes féminines ne sont pas responsables de la non-rentabilité de leur sport, les athlètes masculins ne sont pas non plus responsables de la popularité du leur et des moyens qui y sont consacré. Ils en bénéficient, c’est une certitude, mais ne le décide pas. Car la réalité que ne veut pas montrer cette coach, c’est celle de l’exposition médiatique et de l’intérêt porté par les consommateurs aux deux tournois. Lorsqu’on regarde cet évènement sous ce prisme, alors il est aisé de comprendre pourquoi une telle différence de traitement existe.

Le basket universitaire féminin ne rapporte rien et n’intéresse pas les diffuseurs

La “March Madness” du basketball universitaire masculin rapporte des centaines de millions de dollars (environ 800) à la NCAA, c’est l’évènement qui va décider des résultats financiers de la NCAA. Les droits TV coutent donc extrêmement cher et si ESPN est prêt à débourser de telles sommes, c’est parce qu’elle sait que les audiences seront au rendez-vous. Le basketball féminin en revanche, est vendu dans un package avec 24 autres disciplines universitaires pour quelque 500 millions de dollars sur 14 ans, soit 35 millions par an. Evidemment, le basketball féminin ne génère pas l’intégralité des 35 millions mais seulement une part, dont l’importance n’est pas connue. Il y a donc une vraie opposition de revenu et de couverture médiatique.

La NCAA n’a pas pour but de générer des profits via ses tournois ou ses évènements, c’est un fait. Mais comme toutes les autres structures à travers le monde, elle obéit à des principes économiques basiques et ne peut pas indéfiniment dépenser de l’argent qu’elle n’a pas surtout dans une activité ne lui en rapportant pas. En d’autres termes, la NCAA ne peut pas se permettre une débauche de moyens pour garantir une équité qui n’en aurait que le nom.

Toutes les organisations sont inégales dans l’attribution des ressources

D’ailleurs, la plupart des organisations à travers le monde n’appliquent pas ce principe d’égalité lorsqu’il s’agit de traiter les différents produits/services qu’elles proposent. Les produits les plus rentables ou les plus porteurs récupèrent bien plus de ressources que les autres et personne ne trouve grand-chose à y redire.

Pour illustrer cet argument tout en restant dans le monde du sport, nous pourrions par exemple prendre l’exemple d’Electronics Arts avec ses licences sportives. Les jeux Madden ou Fifa voient souvent leurs moyens être surdimensionnés lorsqu’on les compare à NHL et cela s’explique facilement par les différences d’audiences et d’intérêts que génèrent les trois sports à travers le monde. Madden et Fifa possèdent par exemple une version PS5/XS alors que NHL ne l’a pas, le moteur graphique est aussi plus récent pour ces deux jeux que celui de NHL, etc.

Une égalité qui n’en aurait que le nom

En pointant du doigt le basketball masculin et ses athlètes et les différences de traitement, Kershner oublie un détail : son sport et son tournoi n’intéressent personne. Demander l’égalité de traitement serait en réalité très inégales, car les garçons génèrent presque à eux seuls les fonds qui permettent aux filles d’avoir un circuit universitaire et une “March Madness”. Si les garçons n’ont pas un équipement au niveau, si le jeu proposé pendant le tournoi n’est pas intéressant, alors c’est toute la section basketball de la NCAA qui est en risque. A l’opposé, si les filles arrêtent de jouer, alors la NCAA réduirait ses coûts.

De plus, la stratégie de Kershner n’est pas la bonne, les marques veulent s’associer aux évènements sportifs parce qu’ils rassemblent et non parce qu’ils polarisent. Encore une fois, la logique économique prend le dessus et les marques ne veulent pas tourner le dos à 50% des consommateurs potentiels.

La justice sociale doit devenir autre chose que des messages sur les réseaux sociaux

Mais il ne faut pas non plus oublier de blâmer les principaux protagonistes et responsables de cette histoire : la NCAA. Tout d’abord car des équipements sportifs décents ne représentent aucunement une débauche de moyens exceptionnelle. Ensuite, car trop d’organisations ont voulu se muer en défenseurs de la justice sociale sur les réseaux sociaux pour améliorer leur image de marque. Malheureusement, elles peinent à répondre présentes lorsqu’il faut traduire ces jolis messages Instagram ou Twitter en faits. Il est facile de prendre des engagements sur les réseaux sociaux et des spots publicitaires qui n’obéissent à aucun principe commercial, mais la réalité est bien différente. 

L’Opinion de Damien

Comment ne pas penser à Kobe Bryant dans des moments pareils ! Le sport féminin aurait bien besoin d’un ambassadeur qui transcende le cadre du sport et qui de plus est un joueur qui possède une aura énorme dans son propre sport. Continuer à bâtir sur ces mêmes arguments, ceux du fait que le sport féminin rapporte moins et donc qu’il serait logique d’accepter qu’on investisse moins, est l’argument du statu quo.

Un statu quo qui n’arrange rien

Or, c’est là que tout devient intéressant. Le statu quo profite à une chose seulement, au sport masculin et il fait préjudice de manière significative au sport féminin. Comment espérer que le sport féminin se développe lorsque les matchs ne sont pas ou peu retransmis sur les antennes nationales à des heures où le grand public peut les suivre ? Un partenariat avec une chaîne pour une diffusion attire des sponsors et permet de développer l’attrait pour celui-ci. Demandez à Notre Dame ! Même s’il n’est pas question de diminuer l’importance historique de cette université; son partenariat avec NBC suscite un énorme intérêt. A tel point que l’on pourrait se demander si les programmes veulent se frotter à se programme historique ou bien profiter de leur partenariat.

Egalité des chances ? Egalité des places ? Il faut se donner les moyens !

Ce qu’il s’est passé est inacceptable. Mais tellement symptomatique de la réalité du sport féminin. Car même si certaines mentalités évoluent, il y a encore une grande différence de place. On ne peut pas parler d’égalité des chances quand on offre même pas une once d’égalité des places. Et même si l’on offrait une égalité des places, alors il faudrait tout mettre en œuvre pour que l’égalité des chances puisse avoir lieu. Comment peut-on avancer que le sport féminin n’intéresse personne ? C’est faux ! Les adeptes ne cessent de grandir.

Mais surtout, il est dangereux de faire de telles assertions car elles renforcent le cercle vicieux dans lequel le sport féminin est entravé. Car, si on continue de nourrir le postulat selon lequel ce sport n’intéresserait personne, si on se base uniquement sur les chiffres, alors il est certain qu’il n’intéressera jamais personne. C’est le manque de moyens répétés et le manque de visibilité qui fait que ce sport a parfois du mal à trouver sa place. Imaginez, des partenariats avec des grandes marques, des publicités pour de grandes enseignes, comme State Farm par exemple, des matchs en prime time et diffusés sur les premières chaines nationales.

Mais ne vous arrêtez pas là, imaginez, des salaires plus élevés et une part plus importante médiatiquement. Vous pensez toujours que le sport féminin n’intéressera personne ? Une audience s’éduque. On ne se réveille pas fan d’un sport. Tout cela est le fruit d’une construction longue. Je ne veux pas remettre en question le sport masculin, j’ai moi-même était structuré avec ce sport, dès mon plus jeune âge. De plus, j’ai grandi à une époque où les stéréotypes sportifs liés aux femmes me donnent aujourd’hui la nausée.

Des stéréotypes qui doivent disparaître

Il faut donner au sport féminin la place qu’il peut avoir. Non les femmes ne sont pas moins en mesure de fédérer une communauté de fans, allez demandez ça aux fans d’Oregon ou de UConn, ils auront certainement de belles choses à vous montrer. Non les femmes ne sont pas moins capables de générer une audience solide et non le sport féminin n’est pas moins intéressant que le sport masculin. Il n’a pas besoin d’ajustement non plus. N’en déplaise à Shaquille O’Neal. Baisser la hauteur du panier ne changera rien. Le sport féminin doit être apprécié pour ce qu’il est. Il ne doit pas être une version light du sport masculin. Ce n’est pas ce qu’il est.

Les réseaux sociaux, une arme pour réveiller les consciences et toucher du monde

Enfin, il faut avoir de l’espoir. Car aujourd’hui, les sportives féminines ont de nombreuses plateformes pour exposer ces inégalités absurdes. Je pense notamment à la joueuse d’Oregon Sedona Prince dont la vidéo TikTok avec sa prise de position à propos des inégalités de ressources pour la musculation a été relayée de manière massive et a permis de faire la lumière sur l’absurdité de ce que vivent les joueuses dans la bulle. La vidéo a été vue plus de 8 millions de fois ! C’est énorme ! C’est en moyenne largement mieux que Juju Smith-Schuster le receveur des Steelers qui est aussi très actif sur la plateforme TikTok.

Pour conclure, le sport féminin a sa place. Si on ne la lui donne pas, il ne faudra plus compter sur l’omerta habituelle. Maintenant les joueuses ont des plateformes pour parler de la réalité que l’on aime cacher et que l’on n’aime pas regarder.

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